“Lorsqu’on est une femme, on a souvent le syndrome de l’imposteur. Il faut se rappeler que nous sommes capables de tout mener.“
- Qui êtes-vous ?
Je suis la cofondatrice de l’association Réseau Vrac, créée en mars 2016. Son objectif est de démocratiser la vente en vrac, de mettre en place toutes les conditions pour que ce mode de vente puisse se déployer dans les bonnes conditions et de manière pérenne. Offrir au consommateur une alternative à l’emballé dans son quotidien est aujourd’hui primordial.
Concernant les professionnels du vrac, nous les fédérons, les représentons auprès des instances, les aidons à développer ou créer leurs activités, défendons leurs intérêts… Nous harmonisons les pratiques de ce marché de professionnels.
Nous menons également en parallèle différentes actions de lobbying : l’inscription dans la loi française de la vente en vrac, la prise de paroles lors de conférences, un livre “Vrac mode d’emploi” à destination des consommateurs qui sera publié en septembre 2020…
- Quel a été votre parcours ?
Diplômée de Dauphine où j’ai étudié l’économie pendant cinq ans, j’ai intégré un cabinet de conseil en stratégie durant trois ans. Ensuite, j’ai rejoint un groupe de mobilier urbain durant six ans. J’ai après cofondé Réseau Vrac en 2016.
- Pourquoi avoir lancé votre structure ?
Cela a été une opportunité provoquée et dont le premier impact s’est ressenti dans ma vie personnelle. En 2013, j’ai pris conscience que ma consommation n’était pas suffisamment en adéquation avec mes valeurs. A chaque retour de courses, même si les produits choisis étaient biologiques, nous jetions beaucoup d’emballages. Je me suis dit que je pouvais aller plus loin pour l’environnement dans ma consommation : réduire mon gaspillage dès la racine de ma consommation. Cependant, le vrac se résumait à cette époque là à quelques rayons dans les magasins bios (fruits secs, riz etc) mais ce n’était pas la majorité de mes courses. Beaucoup de produits restaient emballés.
Alors j’ai voulu créer mon propre magasin dans lequel l’ensemble des produits vendus seraient en vrac pour permettre le choix des quantités et des emballages. Mais pendant le montage du projet, je me suis vite retrouvée confrontée à de nombreuses difficultés : pas de fournisseurs, d’encadrement, d’aide financière, de formation, de cadre d’hygiène et législatif pour ce mode de vente… Tout était à faire. Comme, avec un tel contexte, lancer mon propre magasin allait être trop complexe, j’ai donc monté l’association Réseau Vrac avec l’aide de Zéro Waste France
- En quoi être une femme est selon vous un avantage ou un inconvénient dans le monde entrepreneurial ?
Quand on est une femme, on doit faire davantage ses preuves par rapport à un homme. Ainsi, tout ce que nous allons dire et construire, nous allons nous y prendre à deux fois pour éviter des erreurs. Tout ce que nous faisons doit être crédible.
En revanche, je pense que nous attirons plus facilement la sympathie. Ainsi une fois qu’on a fait ses preuves avec une expertise, un discours qualitatif, nous gagnons encore plus le respect qu’un homme.
- Quels seraient les trois conseils que vous donneriez à une femme entrepreneure ?
Le premier serait d’avoir confiance en soi et se sentir légitime. Lorsqu’on est une femme, on a souvent le syndrome de l’imposteur. Il faut se rappeler que nous sommes capables de tout mener. De mon côté, j’ai mené la création d’une structure associative, sans revenu, et avec deux grossesses. Cela peut faire peur ! Il est très difficile de tout mener de front, sa vie familiale et sa vie professionnelle, sans sacrifier l’un au détriment de l’autre.
Dans un second temps, il faut absolument se faire confiance et croire en son instinct. Réseau Vrac est le résultat de ma confiance en mon intuition : ça m’a permis de faire de magnifiques rencontres.
Enfin, je dirais savoir bien s’entourer.
- Quel(s) challenge(s) avez-vous souhaité relever avec votre entreprise ?
Me lancer dans l’aventure entrepreneuriale avec un modèle associatif challenging puisque je ne bénéficiais d’aucune subventions. Il m’a donc fallu monter un modèle économique pérènne : c’est comme égaler un modèle entreprise, sans en avoir.
La deuxième étape a été de m’attaquer au pré-emballé qui a rendu la vie pratique et rapide. Sauf que depuis plusieurs années nous constatons les effets négatifs de ce tout jetable. Or dans une société où nous voulons aller vite, comment faire de la place au vrac ? Car le vrac demande de reprendre du temps, de modifier ses habitudes : il faut s’intéresser aux produits, au mieux manger, de s’équiper avant de faire ses courses… Tout semble plus compliqué, de prime abord, mais pour un meilleur résultat.
- Quelle a été votre plus belle réussite dans votre carrière de femme entrepreneure ?
Le 10 février, nous avons réussi à faire inscrire dans la loi le principe de vente en vrac. Le vrac a toujours existé mais rien n’était encadré d’un point de vue législatif. Maintenant, l’ensemble des produits peut désormais être vendu en vrac, sauf certains pour des problématiques de santé publique comme le percabonate de soude s’il est distribué en libre-service sans protection. Le consommateur peut venir faire ses courses avec des contenants réutilisables et il en est responsable (propreté, solidité). Cette loi va permettre d’accélérer la transition et le développement de ce mode de consommation dans les magasins.
- Quelle est la femme entrepreneure qui vous inspire le plus ?
La fondatrice de Lamazuna, Laëtitia Van de Walle. Lamazuna est une marque Made in France visant à démocratiser le zéro déchet dans notre salle de bains. Laetitia est visionnaire, à l’écoute du bien-être de ses employés et tisse une relation particulière avec ses revendeurs. Elle ne cesse de réinventer la marque et les manières de travailler.
- Quels sont les difficultés que vous avez rencontrées en tant que femme au moment de la création de votre entreprise ?
J’ai fondé Réseau Vrac en 2016 et un an plus tard, j’accouchais. J’ai mené de front le développement d’une association et mon premier enfant, dans un contexte incertain. J’étais encore au chômage, l’association ne pouvait pas encore me rémunérer. Pour la naissance de mes deux enfants, je n’ai pas eu de congé maternité : j’ai travaillé jusqu’à la veille des naissances et une semaine après avoir accouché, je travaillais de nouveau. La difficulté a été de me dire que je n’ai pas eu ce temps là, avant et après la grossesse pour me consacrer à leur arrivée et ensuite pleinement à eux, alors que j’aurai pu l’avoir en étant salariée dans une entreprise. Paradoxalement, je ne l’ai absolument pas regretté car j’ai pu travailler, en étant avec eux.
- Quelles ressources auriez-vous aimé avoir à disposition pour vous accompagner dans la création de votre entreprise ?
Des ressources financières m’auraient grandement aidé dès le démarrage, aussi bien pour avoir un salaire, des locaux ou engager une équipe.
- Comment voyez-vous le monde après le virus ?
C’est difficile de se prononcer : il y aura un après Covid-19 c’est certain. Il faut garder confiance dans le vrac – la filière était dynamique avant, elle est mobilisée pendant alors il faut continuer à faire ses courses en vrac et surtout y retourner après. Il faut continuer à privilégier ce mode de consommation beaucoup plus vertueux et respectueux de la terre et du vivant.
Le vrac en quelques chiffres
40% des Français ont consommé des produits en vrac au moins une fois dans l’année en 2019 (source : Nielsen).
Les fruits secs comme les amandes sont les produits les plus consommés en vrac
Les enjeux du vrac
- Contribuer largement à la réduction du gaspillage alimentaire : 29 kilos déchets alimentaires / an / français (Ademe 2016)
- Contribuer à la réduction des déchets d’emballage jetables : ils représentent env. 1/3 des déchets ménagers des français (Ademe 2016) et seulement 26% des emballages ménagers en plastique sont recyclés en France (source Citeo) https://www.citeo.com/actualites/recycler-100-des-emballages-en-plastique-cest-possible
- Permettre la relocalisation nationale de différentes productions pour la consommation quotidienne
- Redynamiser le tissu économique local
- Recréer du lien social